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Journal de bord

On a glis­sé un jour­nal de bord dans notre van pour docu­men­ter la tour­née de Pierre et le loup (sur la route). Pre­mière repré­sen­ta­tion à l’é­cole des Oiseaux Bleus, par Sophie van der Ste­gen.

Oh qu’il est beau votre camion, madame. Il date de quand ? Moi aus­si, je rêve d’en ache­ter, pour trans­por­ter les enfants. C’est moi qui gère la flotte des mini­bus PMR. L’homme débarque une petite fille, elle sou­rit dans son fau­teuil. Elle est curieuse. Je les suis vers l’entrée de l’école. Les enfants se pressent. Vous êtes qui ? Je m’appelle Sophie, je viens pour Pierre et le Loup. Vous auriez un cha­riot ?

Nous avons deux heures pour ins­tal­ler et répé­ter. Timing ser­ré. L’ascenseur monte. Dans la salle tout en haut, le pla­teau est réduit. Nous avions pré­vu de jouer dans la cour de récréa­tion, mais il pleut des cordes. C’est sou­vent le cas en Bel­gique. On se conten­te­ra du plan B. Vous avez remar­qué que le plan B devient sou­vent le plan A dans la vie ? D’ailleurs c’est ce que disait Bowie : Life is what hap­pens when you’re busy making other plans.

Hélène arrive, essouf­flée. Je suis en retard, déso­lée ! mais je suis là pour vous aider. Elle s’empare des lou­piottes et les ins­talle Ça fera guin­guette.

Il y a du café et une vraie loge. Mais on doit com­men­cer. Ça fait long­temps qu’on n’a pas répé­té. La musique est belle. Sur­tout le moment du canard. Quand le canard sort dans les grands prés verts et qu’on sent que c’est une jour­née chaude d’été, où même les muscles se détendent. Le contraire d’aujourd’hui, quoi. 10h30, les portes de l’ascenseur s’ouvrent : c’est le public. Vite ! Cou­rons dans les cou­lisses. Je remets la scé­no­gra­phie en place. 10h45, Hélène nous intro­duit, je nous intro­duis, puis Mathilde alias Lily entre en scène, et le spec­tacle com­mence. À cet ins­tant, mon rôle est fini. Je ne peux que consta­ter. Et fil­mer, pour amé­lio­rer, la pro­chaine fois. Je me dis que c’est bizarre com­ment les spec­tacles naissent et pour­quoi ai-je vou­lu racon­ter cette his­toire-ci ? J’ai bien ma petite idée, mais c’est trop long à expli­quer ici. Voi­là, 11h35, on conclut par une séance ques­tions-réponses. Pour­quoi on doit écou­ter Pierre et le Loup ? demande un enfant. Bonne ques­tion, je me la posais à l’instant. Une autre fille se bidonne. Pour­quoi la danse des canards ? Je l’ai décou­verte quand j’avais trois ans ! Les enfants nous apportent des bou­quets. Ils sont irré­sis­tibles.

Cette école me fait pen­ser à une serre de plantes tro­pi­cales, où chaque enfant béné­fi­cie de soins sur mesure, comme des fleurs exo­tiques et fra­giles. Cer­tains sont assis dans des machines com­pli­quées avec des bou­tons qui cli­gnotent par­tout comme des mini navettes spa­tiales. L’une d’elles se met à biper pen­dant le spec­tacle, comme si elle signa­lait les émo­tions de son pas­sa­ger cos­mo­naute. J’ai gran­di dans une famille où les enfants pous­saient comme des mau­vaises herbes. Ces enfants-ci sont une bonne leçon.

L’école porte un nom qui évoque Mae­ter­linck : Les Oiseaux bleus.

Savez-vous que le père de Nata­lia Satz a com­po­sé un opé­ra sur cette pièce, dis-je à Hélène. Nata­lia Satz était la direc­trice du tout pre­mier opé­ra pour enfants à Mos­cou. C’est elle qui com­man­di­ta Pierre et le Loup à Ser­gueï Pro­ko­fiev, il y a près de cent ans, j’ajoute. Dans un bud­get ultra limi­té. La force des femmes, me dis-je en regar­dant les édu­ca­trices entou­rant les enfants. Le soin est fémi­nin. Nata­lia Satz esti­mait que Pierre et le Loup devait réson­ner aux oreilles des enfants du monde entier. Je suis d’accord. Tous les enfants sont les mêmes, ils rient aux mêmes blagues et ont peur du même loup. Dans les cou­lisses, on se rha­bille, on fait un sel­fie. On démonte, retour au cha­riot et retour au rez-de-chaus­sée. Recher­cher le van. Faire la manœuvre. Ça fait du bien ce genre de date. Un peu de paillettes dans ce monde moche, nous écrit Géral­dine en nous envoyant le sel­fie sur le What­sApp du groupe. Dans la pièce de Mae­ter­linck, L’Oiseau bleu sym­bo­lise le bon­heur. Deux enfants partent à sa recherche, pour se rendre compte à la fin du périple que l’oiseau se trou­vait tout ce temps chez eux, dans une cage. C’est sou­vent comme ça la vie : on cherche le bon­heur par­tout et en fait il est déjà là, mais on ne l’avait pas recon­nu. (sophie van der ste­gen, mai 2025)

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