
Interview de Sophie van der Stegen à propos de “Debussy & les Sirènes”
Ce nouveau spectacle, Debussy & les Sirènes, est issu d’un parcours de workshops menés avec Sarah Laulan à la Chapelle Musicale. Quels étaient les enjeux de ce cycle de formation-création ?
Sophie van der Stegen : Ce cycle est né d’un désir simple : interroger notre manière de nous adresser au jeune public. C’est la Chapelle Musicale qui nous a posé cette question, et nous a proposé de la développer pour les chanteuses du département Voice. Comment parler aux enfants sans leur expliquer ? Comment transmettre sans didactisme ? Nous avons travaillé avec les chanteurs et chanteuses du département Voice sur la dramaturgie, l’improvisation, la narration et la mise en jeu du répertoire classique. L’idée était de déconstruire joyeusement des œuvres de Bernstein, Barber, Chausson et surtout Debussy, pour mieux les réinventer. La créativité individuelle y devenait le moteur d’un geste collectif.
Vous revisitez le mythe de la petite sirène à travers un spectacle qui mêle théâtre, chant lyrique et piano. Pourquoi ce récit et qu’avez-vous voulu en faire ?
Nous voulions un conte fondateur qui permette d’explorer les thèmes de la métamorphose, de la perte et de la renaissance. La sirène, figure oscillant entre Andersen, l’Odyssée, Rusalka et la Lorelei, est un fil rouge idéal. Nous avons choisi de fragmenter le conte : que signifie perdre sa voix quand on est chanteuse ? Qu’est-ce qui rend la sorcière cruelle ? Et que se passe-t-il si l’interprète du prince rêve en réalité de jouer la sirène ? L’improvisation nous a permis d’ouvrir ces questions, de jouer avec les codes et de détourner les rôles.
Votre approche repose beaucoup sur l’improvisation. Comment ce travail a‑t-il façonné la création ?
L’improvisation est devenue un laboratoire : elle a fait émerger des situations inattendues, des tensions nouvelles, des dialogues que nous n’aurions jamais écrits à la table. Les chanteuses ont pu explorer la fragilité de la voix, la liberté du mouvement, l’humour comme outil dramaturgique. Le spectacle en porte la trace : il reste traversé par un esprit d’expérimentation, une joie de chercher, de se tromper, de recommencer.
Debussy occupe une place particulière dans Sirènes. Quelle relation entretenez-vous avec cette figure ?
Debussy nous offre un imaginaire marin inépuisable. Sa carte postale depuis Dieppe, où il regrette que la mer soit « mal fréquentée », nous amuse autant qu’elle nous touche. Dans le spectacle, nous jouons avec cette idée que la mer devrait n’appartenir qu’aux sirènes, et nous l’avons prolongée en inventant un épisode méconnu : la rencontre fantasmée du jeune Debussy avec une sirène rousse, qui aurait inspiré son goût pour les timbres mystérieux. Sa pièce Sirènes est pour nous un écho direct : un chant qui traverse les vagues et se dérobe dès qu’on croit le tenir.
Le spectacle sera présenté à la Chapelle Musicale le 30 novembre et à Flagey le 6 décembre. Quel voyage souhaitez-vous proposer au public ?
Nous voulons offrir une plongée sensible dans un mythe que chacun croit connaître. Un spectacle qui décloisonne la scène lyrique, mêle les arts, bouscule les attentes. Un récit où la voix se perd, se transforme et se retrouve autrement. Plus qu’une histoire, Sirènes est une expérience : un espace pour écouter, rêver et se laisser transporter par un chant qui passe, rit et disparaît.

Et Debussy dans tout ça ?
Voici une carte postale qu’écrivit Debussy à son éditeur, alors qu’il séjournait près de Dieppe, au Grand Hôtel Château de Puys, le 8 août 1906
Mon cher ami,
Me revoici avec ma vieille amie la Mer ; elle est toujours innombrable et belle. C’est vraiment la chose de nature qui vous remet le mieux en place. Seulement on ne respecte pas assez la Mer… Il ne devrait pas être pemis d’y tremper des corps déformés par la vie quotidienne ; mais vraiment tous ces bras, ces jambes qui s’agitent dans des rythmes ridicules, c’est à faire pleurer les poissons. Dans la Mer, il ne devrait y avoir que des Sirènes ; et comment voulez-vous que ces estimables personnes consentent à revenir dans des eaux si mal fréquentées ?
Donnez-moi bientôt de vos bonnes nouvelles et croyez à ma vieille amitié.
Debussy composa une pièce symphonique en hommage aux sirènes, qu’il décrivit comme ceci :
« C’est la mer et son rythme innombrable, puis, parmi les vagues argentées de lune, s’entend, rit et passe le chant mystérieux des Sirènes. »









